Les approches humaniste et intégrative en psychothérapie

Introduction

La caractéristique d’un travail psychothérapeutique est qu’il mobilise à la fois la parole de la personne en thérapie et celle du thérapeute. Le mode d’expression et l’usage de cette parole pourront être très différents selon l’approche utilisée dans ce travail thérapeutique : par exemple en psychanalyse, en thérapie cognitive ou en thérapie psycho-corporelle.

Pour ma part, j’utilise prioritairement dans mon travail de psychothérapeute le cadre de référence de l’Analyse Transactionnelle, l’une des principales « écoles » de l’approche humaniste, et je complète ce cadre de référence principal par le recours à d’autres cadres de référence différents mais compatibles et, en cela, je m’inscris pleinement dans une approche intégrative.

I. Quelques aspects du travail thérapeutique en Analyse transactionnelle

L’analyse transactionnelle partage avec la psychanalyse plusieurs concepts fondamentaux. Ainsi, pour nous, psychothérapeutes en analyse transactionnelle, le symptôme est la verbalisation du conflit intrapsychique. Même si ce qui amène le patient en psychothérapie est son souhait que le symptôme disparaisse, notre visée sera d’abord de donner du sens à ce symptôme. Lorsque le patient aura pu élaborer la logique inconsciente qui l’avait poussé dans ces (dys)fonctionnements, il pourra alors cesser de les produire. En ce sens, nous pensons le symptôme comme un outil de lecture du type de personnalité ou encore du scénario pour utiliser l’un des concepts de base de l’analyse transactionnelle. 

D’une manière générale, la personne qui effectue une démarche psychothérapeutique arrive avec une plainte. La personne saura dire assez vite ce qui ne va pas pour elle, elle saura dire de quoi ou de qui elle se plaint. Le premier travail du thérapeute va être de l’aider à transformer sa plainte en demande, de la mettre en position de se voir aussi comme une partie de la solution plutôt que seulement comme une partie du problème. En d’autres termes, la personne qui arrive en thérapie souhaite sortir de ses compulsions de répétitions, de ses mécanismes de défense devenus trop rigides ou inadaptés, ou encore pour utiliser là aussi ce concept de base de l’analyse transactionnelle, des effets préjudiciables de son scénario. Cette première phase du travail thérapeutique qui correspond à la transformation de la plainte en demande puis en contrat est particulièrement importante pour les positionnements respectifs du thérapeute et du patient et la mise en place d’une « alliance thérapeutique ».

Le travail thérapeutique en analyse transactionnelle prend en compte les dimensions de la pensée, du comportement et des émotions et se décompose en étapes successives variables selon le patient, son type de personnalité et sa demande. On peut préciser en utilisant la terminologie des états du Moi (Parent, Adulte, Enfant) que le dispositif thérapeutique utilisé en Analyse transactionnelle permet deux types de travail :

– La décontamination de l’état du Moi Adulte à l’aide notamment de l’analyse des attitudes symbiotiques et des jeux psychologiques. C’est un travail inter-psychique (Berne parlait de « psychiatrie sociale »).

  • Identifier les états du moi enclenchés et leur évolution
  • Confronter les manifestations scénariques (symbiose, triangle, jeux psychologiques…)

– La déconfusion de l’état du Moi Enfant à l’aide de l’analyse du scénario et de la re-décision. C’est un travail intrapsychique plus en lien avec le modèle psychanalytique.

  • Identifier les décisions scénariques (croyances, sentiments scénariques …)
  • Actionner une dynamique de permissions et de re-décision

II. Les patients qui effectuent une démarche psychothérapeutique.

Quelques chiffres. Une enquête nationale de 2006 menée par l’institut CSA, a montré qu’en France, 8% des personnes de plus de 15 ans (soit 5 millions de personnes) suivait ou avait suivi une psychothérapie alors que ce chiffre n’était que de 5,2 % en 2001 (lors de l’enquête précédente). Soit une augmentation de 50 % en 5 ans seulement (Ginger S. et Ginger A., 2008).

Sur le plan psychopathologique. En se référant à la théorie psychanalytique, Jean Bergeret précise que la structure de personnalité correspond à ce qui, dans un état psychique morbide ou non, se trouve constitué par les éléments métapsychologiques profonds et fondamentaux de la personnalité fixés en un assemblage stable et définitif. Ces éléments métapsychologiques de base sont essentiellement l’instance dominante (surmoi, ça ou idéal du moi), la nature de l’angoisse (de castration, de morcellement, de perte d’objet), la nature du conflit, la relation d’objet et les mécanismes de défense principaux. Il identifie trois grands types de structure : névrotiques, psychotiques et limites.

Ces structures peuvent être vu comme un continuum allant de la normalité à la décompensation, c’est l’image du bloc de cristal proposée par Freud dans les nouvelles conférences sur la psychanalyse publiées en 1933.

Le caractère, les types de personnalité ou encore les traits de personnalité sont différents concepts qui recouvrent la même réalité.  Ils peuvent être vus comme l’expression relationnelle et psychologique de la structure de base tant que celle-ci demeure en état de « normalité » (ou de stabilité), c’est à dire tant que le fonctionnement du Moi sur les plans adaptatif et défensif est suffisamment satisfaisant pour le sujet. En restant conscient des limites d’une telle analogie, je propose que le caractère ou les traits de personnalité sont à la structure psychique ce que le phénotype est au génotype dans le champ de la biologie.

Les symptômes, eux, sont les manifestations relationnelles ou psychologiques d’une structure de base en état de décompensation, décompensation dont l’intensité dictera la sévérité des symptômes.

Si on applique ces considérations pour éclairer le profil des patients d’un psychothérapeute, on peut dire que les personnes qui vont faire de façon autonome la démarche d’un travail psychothérapeutique peuvent être vues comme dépositaires d’une structure de base « relativement bien compensée », les personnes dont la structure est suffisamment bien compensée n’éprouvant pas le besoin d’une démarche thérapeutique. Au contraire, les personnes qui vont faire l’objet d’une hospitalisation volontaire ou moins volontaire (hospitalisations à la demande d’un tiers ou d’office) sont confrontées à l’échec de leurs mécanismes de défense habituels et à une décompensation importante de leur structure de base.

Pour redire les mêmes choses dans le cadre de référence du DSM (Manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux), les traits de personnalités ne constituent des troubles (Axe II du DSM) que lorsqu’ils s’avèrent rigides et inadaptés et qu’ils causent une souffrance subjective ou une altération significative du fonctionnement (social, professionnel …).

Sur le plan psycho-sociologique : L’évolution de la plainte. De très nombreux psychothérapeutes constatent que la plainte des patients a évolué depuis une vingtaine d’années. Auparavant et c’est encore vrai pour les patients les plus âgés (plus de 50 ans), l’essentiel des personnes qui faisaient une démarche pour un travail psychothérapeutique étaient confrontées à un mal-être très névrotique. Il était souvent question dans leur plainte de pressions, de difficultés à s’autoriser à faire ce qu’elles voulaient vraiment, de difficultés à se libérer d’un pouvoir d’influence issu de leurs parents et/ou des normes sociales de leur milieux d’origine.  L’angoisse la plus présente était une angoisse de castration et c’est plutôt le Surmoi qui posait problème. Le psychothérapeute rencontrait donc le plus souvent des structures névrotiques.

Aujourd’hui et notamment avec les personnes les plus jeunes (les 25 – 35 ans), la plainte a changé. Il est question d’une douleur liée à la perte d’identité. Les personnes qui arrivent en thérapie disent souvent ne plus savoir ce qu’elles valent, ni ce qu’elles veulent. L’angoisse la plus représentée aujourd’hui est l’angoisse d’abandon. Cette évolution de la plainte est sans doute liée à l’image de soi que se construit la personne aujourd’hui et qui la met au centre du monde, de ses envies, de ses responsabilités. Il est plus difficile aujourd’hui d’entrer en conflit avec les autorités pour défendre ce qu’on veut car le message social auquel nous sommes confrontés peut-être résumé par : « je peux tout avoir » et notre problème va être donc de savoir ce que, individuellement, nous voulons. Le thérapeute, aujourd’hui, rencontre donc de plus en plus souvent des structures état-limites.

Sur le plan médicamenteux. La psychothérapie, utilisée seule,  peut  être un recours quand le sujet (même souffrant) est capable (même si c’est de façon partielle) de se penser lui-même et de penser l’autre. Dans le cas contraire, la prescription de psychotrope aidera le patient en « éteignant » les éléments les plus douloureux et/ou les plus invalidants de la symptomatologie (angoisse, dépression, délires, passage à l’acte). Ce point précis est développé à la fin de la partie IV de ce travail qui concerne l’usage conjoint ou exclusif des psychotropes et de la psychothérapie.

III. L’approche humaniste.

Trois grands groupes de psychothérapie. On distingue aujourd’hui trois grands groupes de psychothérapies qui peuvent regrouper des approches psychothérapeutiques plus ou moins homogènes. Ces trois groupes sont (i) la psychanalyse et les thérapies d’inspiration psychanalytique (ou psychodynamique) ; (ii) les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et (iii) les thérapies humanistes (ou existentielles).

Les thérapies humanistes ou existentielles comptent différentes « écoles » dont les plus représentées sont notamment l’analyse transactionnelle (Eric Berne),  la gestalt – thérapie (Fritz Perls),  l’approche centrée sur la personne (Carl Rogers),  l’hypnose Ericksonienne (Milton Erickson), la thérapie familiale systémique (Mony Elkaïm).

Serge Ginger, gestaltiste reconnu, a définit les caractéristiques principales des psychothérapies humanistes (Ginger S. et Ginger A., 2008) :

  • La personne est considérée dans l’interaction de toutes ses dimensions : physique, émotionnelle, cognitive, sociale et spirituelle.
  • Le travail thérapeutique est non seulement intra-psychique, mais aussi inter-psychique, prenant en compte l’individu, mais aussi ses relations avec son environnement.
  • L’expression de la personne n’est pas exclusivement verbale, il peut manifester ses émotions, se mouvoir.
  • Le présent et le futur importent autant que le passé.
  • La part de liberté, et donc de responsabilité personnelle, est essentielle.

C’est notamment la référence à une personne appréhendée dans toutes ses dimensions, la double nature du travail à la fois intra et inter-psychique et la sollicitation d’une expression pas uniquement verbale qui fait que le triptyque pensée, émotion, comportement est caractéristique d’un travail thérapeutique qui s’inscrit dans une approche humaniste.

Pour finir cette partie classification et définition, et parce que mon cadre de référence principal est celui de l’analyse transactionnelle, je préciserais que mêmesi elle a pleinement sa place dans le courant de l’approche humaniste, l’analyse transactionnelle, ne s’exclue pas du courant des thérapies d’inspiration psychanalytique et utilise, pour penser l’interaction thérapeutique, les principaux concepts de la métapsychologie freudienne que sont l’inconscient, les mécanismes de défenses ou la nature de l’angoisse variable selon la structure psychique de la personne. Cette « compatibilité à la psychanalyse »  de l’analyse transactionnelle fait d’ailleurs qu’on la retrouve parfois « classée » dans les approches d’inspiration psychanalytique.

Je viens d’évoquer la diversité des approches psychothérapeutiques, voyons maintenant quelques éléments explicatifs de cette diversité.

Origine(s) de la diversité des psychothérapies. La diversité des théories et pratiques psychothérapeutiques est sans doute le reflet de la diversité grandissante des moyens de compréhension du fonctionnement humain et des dimensions biologiques, psychologies et sociologiques qui le déterminent.

En effet, certaines approches mobiliseront prioritairement les ressources cognitives qu’utilise l’être humain pour appréhender ses mondes internes et externes (les psychothérapies cognitives), d’autres vont privilégier ses capacités d’insight et de symbolisation (la psychanalyse et les thérapies psycho-dynamiques), d’autres s’attacheront à travailler à partir de ses comportements observables (les psychothérapies comportementales), de ses capacités interactionnelles en famille (les psychothérapies systémiques) ou encore de ses expériences corporelles originelles (les psychothérapies corporelles).

A cette diversité née de la multiplication des compétences explicatives que l’homme a progressivement développé au cours du XXe siècle, s’est superposée un autre processus de diversification, fruit de l’activité sécessionniste propre à toute « école ». La psychanalyse en fût le (forcément) premier théâtre avec les dissensions entre Freud et ses premiers disciples (Adler et Jung d’abord, puis Rank et Ferenczi, puis plus tard Mélanie Klein ou Anna Freud). Les thérapies comportementales et cognitives (T.C.C.) ou les thérapies humanistes bien que plus « jeunes » que le courant psychanalytique subissent ou agissent elles aussi ce processus de « diaspora ».

C’est aussi dans et par ce contexte d’évolution et de différenciation que se sont développés les approches humanistes puis intégratives. Voici quelques considérations socio-historiques sur l’émergence progressive des approches humanistes en psychothérapie.

Contexte socio-historique du développement de l’approche humaniste. L’évolution de la psychiatrie et les « emprunts » qu’elle a fait à différentes étapes de son histoire peuvent éclairer l’avènement du courant humaniste en psychothérapie. Parlons tout d’abord des premières évolutions conceptuelles qui touchèrent la psychiatrie au début du XXe siècle.Le savoir médical du début du XXe siècle en exerçant progressivement son influence sur la médecine mentale amène la psychiatrie à s’intéresser à l’étiologie des maladies mentales. Les études anatomo-cliniques, puis physiologiques et biochimiques, ne se révélant pas à la hauteur, à l’époque, des espérances (par exemple pour la question de la localisation cérébrale des troubles), la psychiatrie va alors « naturellement » se tourner vers la psychanalyse qui va ainsi progressivement commencer à influencer le milieu psychiatrique.  Cinquante ans plus tard, les mouvements « anti-psychiatriques » identifient la psychiatrie  à une fonction de contrôle social notamment par le recours à l’isolationnisme asilaire. Ces mouvements vont mobiliser la psychanalyse qui constitue une théorie du sujet et s’oppose aux pratiques asilaires dépersonnalisantes.

Les contextes scientifiques et socio-culturels dans lesquels évoluent les thérapeutes ont aussi influencés l’avènement des plus importants courants psychothérapeutiques. Dans les années 1950, le développement des théories comportementalistes (Watson et Skinner notamment) s’est fait en réaction à un quasi-monopole de la psychologie mentaliste. Puis ce furent les thérapies cognitives se référant au paradigme du traitement de l’information qui essayèrent de remédier aux limites d’un modèle purement comportemental.  Parallèlement, les mouvements de contre-culture apparus à la fin des années 60 ont progressivement été le terreau du développement des « nouvelles thérapies » autre dénomination des approches humanistes.

Enfin sur un plan plus politique ou anthropologique, la diversité des courants psychothérapeutiques est concomitante avec la naissance d’une société post-moderne, industrielle et démocratique. La pratique psychothérapeutique a sans doute été progressivement influencée par le modèle économique de l’utilitarisme contractuel et libéral. Ce modèle a provoqué l’émergence de l’idée selon laquelle l’individu (l’individu occidental en tout cas) était dépositaire et gestionnaire d’un  capital émotionnel et expressif. En d’autres termes, cette société post-moderne, industrielle et démocratique  fait donc de l’homme le responsable en première ligne de son destin, de ses réussites comme de ses échecs. On peut voir dans ce phénomène une forme de « toute puissance ». Par ailleurs la vulgarisation des concepts psychanalytiques et psychologiques dans les sphères médiatiques et professionnelles a contribué à la « psychologisation » de la culture.

C’est dans ce contexte que sont apparues et se sont développés les différentes psychothérapies de l’approche humaniste.

IV. L’approche intégrative.

L’approche intégrative en psychothérapie peut être définie comme la volonté de mobiliser plusieurs cadres de références différents pour appréhender le patient et le travail thérapeutique.

Les formes concrètes que prend le travail thérapeutique se manifestent à travers la relation qui s’établit entre le patient et le thérapeute et à travers les méthodes d’intervention utilisées dans le traitement. L’exercice thérapeutique peut être décrit à l’aide de deux types de caractéristiques :

– les caractéristiques spécifiques qui sont les techniques et les méthodes d’intervention précisément définies par chaque approche (l’interprétation en psychanalyse, l’exposition en thérapie comportementale, la restructuration cognitive en thérapie cognitive en sont quelques exemples).

– les caractéristiques non spécifiques qui sont des éléments d’ordre relationnel « non-technique » et qui constituent en quelques sortes des facteurs possiblement communs à toutes les approches.

Bien sûr, l’existence de ces facteurs communs ne signifie pas que toutes les pratiques thérapeutiques se ressemblent  mais il est bien possible que ces pratiques agissent de façon beaucoup plus convergentes que les théories qui les édictent (le psychanalyste pourra manifester une attitude chaleureuse, de l’empathie, des encouragements ; le cognitivo-comportementaliste à travers les tâches exigées pourra travailler sur des émotions mobilisées, etc …)

Ce constat de convergence – au moins partielle – a amené de nombreux thérapeutes à tenter d’intégrer dans leurs traitements des méthodes ou techniques d’intervention proposées par d’autres orientations. C’est ce qu’on a appelé l’approche intégrative.

Cet éclectisme psychothérapeutique peut s’exprimer  seulement sur un versant technique et dans ce cas le psychothérapeute « emprunte » des méthodes hors de son cadre de référence théorique et les valide empiriquement. Mais il peut aussi s’exprimer sur un versant théorique, et le thérapeute dépassant alors la seule combinaison de techniques recherche une intégration conceptuelle de différents cadres de référence. 

Un exemple d’approche intégrative basée sur le système familial. Comme je l’ai explicité plus haut, mon cadre de référence premier est celui de l’analyse transactionnelle mais j’ai progressivement rencontré et expérimenté d’autres courants théoriques, d’autres cadres de lectures au cours de formations, de rencontres avec des pairs, de supervisions dans des milieux hétérogènes, de différentes expériences en milieu hospitalier, et bien sûr dans ma pratique thérapeutique individuelle ou en groupe. Ces différentes influences m’ont amené à essayer de développer dans ma pratique thérapeutique une approche intégrative. Sur le plan théorique, cette tentative d’intégration est née de la prise en compte du contexte familial comme élément central (Bertho P, 2006). L’approche systémique interactionnelle, la théorie de l’attachement et l’analyse transactionnelle sont trois modèles qui ont en commun de considérer que l’individu s’est construit en étant inscrit dans un réseau d’interactions au sein de sa famille. Et c’est la place centrale qu’ils donnent tous trois aux interactions familiales qui m’a conduit à choisir de les mobiliser ensemble dans une démarche intégrative.

La famille est le système où s’élaborent les processus d’individuation et de différenciation, elle est le lieu de l’Oedipe. La famille est aussi « à l’œuvre » dans le développement de l’individu dans deux dimensions temporelles différentes, synchronique et diachronique. En effet, l’individu est un sujet en interaction ici et maintenant (plan synchronique) mais également un sujet issu d’une histoire individuelle et collective (plan diachronique). Les interactions familiales tant synchroniques que diachroniques qui sont le théâtre des processus d’individuation et de différenciation font échos à de nombreux concepts dans chacun des trois modèles que sont l’approche systémique interactionnelle, la théorie de l’attachement ou l’analyse transactionnelle.

Psychothérapie et psychotrope : « à la place de » ou « en plus de ». Enfin je souhaite pour terminer cette réflexion préciser ma position, en tant que « thérapeute intégratif » dans le cadre du débat sur l’usage des psychotropes dans le soin du psychisme.

Si la psychothérapie consiste (au moins étymologiquement) à guérir le psychisme, que fait le psychotrope de différent ? Le psychotrope atténue (et souvent avec beaucoup d’efficacité) les symptômes d’un dérèglement du psychisme. Et ce notamment sur les deux versants principaux de la symptomatologie psychiatrique : l’anxiété et la dépression. La psychiatrie qui a le monopole de la prescription du psychotrope, réalise cette mission de sédation du symptôme avec notamment les anxiolytiques, les antidépresseurs et les régulateurs de l’humeur.

On pourrait alors, dans un premier temps, et seulement dans un premier temps, schématiser la distinction entre psychothérapie et psychotrope en proposant que la première s’attache à résoudre par des procédures non médicamenteuses les dérèglements du psychisme quand la deuxième s’attache à en atténuer les symptômes à l’aide de molécules actives sur certaines cibles du système nerveux central.

Il me semble pertinent de pousser cette réflexion plus avant en prenant en compte la sévérité du symptôme associé à la notion de structure psychique telle que l’a proposé Bergeret (Bergeret J, 1996). Que cela soit sur les versants anxieux ou dépressifs, les dérèglements et donc les souffrances qui en découlent peuvent présenter une intensité extrêmement variable. Si on prend l’exemple de la structure obsessionnelle, on peut aisément vérifier que l’inquiétude réactionnelle d’une personne relativement équilibrée, l’anxiété quotidienne d’un inquiet ou l’angoisse profonde du paranoïaque n’entraîne pas la même souffrance ni les mêmes incapacités. C’est alors la sévérité du symptôme qui dictera la pertinence du recours au psychotrope pour permettre à la personne d’en voir diminuer l’intensité. Ainsi, ce qui pourrait distinguer la psychothérapie et la psychiatrie serait l’intensité du symptôme qui dicterait en fonction de son importance le recours à la seule psychothérapie interactionnelle ou à la médication par les psychotropes.

Beaucoup de professionnels considèrent qu’opposer psychothérapie et psychotrope est un faux débat. Je partage cet avis, mais ce n’est pas une opposition que je souhaite souligner ici mais plutôt une défense de la psychothérapie contre le risque d’une volonté d’hégémonie du « marchand de psychotropes », volonté que révèlent aujourd’hui les études qui s’y sont intéressées.

La psychothérapie pourra permettre au patient qui souffre de troubles non lourdement invalidants de voir ses symptômes diminuer ou disparaître comme le ferait un psychotrope. La différence étant que la psychothérapie n’entraînera pas d’effets secondaire médicamenteux, ne nécessitera pas de sevrage et surtout limitera le retour du symptôme. On peut illustrer ce dernier point de façon imagée : quand une personne qui ne sait pas nager est en train de se noyer, il est très important de lui lancer très vite une bouée de sauvetage ; cette bouée c’est le psychotrope. Il est aussi important de réfléchir à ce que deviendra la personne toujours dans l’eau et à qui on n’a pas appris à nager si on lui retire la bouée qu’on lui avait lancé (et qu’on avait eu raison de lui lancer) ; le maître-nageur-sauveteur ce serait le thérapeute. Il est possible d’imaginer qu’un marchand de bouées de sauvetage aura du mal à proposer à ses clients d’aller plutôt apprendre à nager avec un maître nageur sauveteur (sauf à imaginer un marchand de bouées de sauvetage avec une très solide éthique ou…la possibilité de changer de métier).

Enfin il est important de préciser que, dans le cas de syndromes lourds concernant des tableaux cliniques où s’exprime une symptomatologie sur le versant psychotique, la psychothérapie ne pourra remplacer le psychotrope. Mais elle, pourra alors utilement accompagner le traitement médicamenteux et cette collaboration entre psychotrope et psychothérapie est bien sûr un bel exemple de pratique intégrative.

Pascal Bertho, décembre 2008

  • BERGERET J. La personnalité normale et pathologique. Dunod, Paris, 1996
  • BERNE E. Analyse transactionnelle et psychothérapie. Payot, Paris, 1997
  • BERTHO P. Tentatives d’approches intégratives : Mobiliser des cadres de référence différents pour penser l’interaction thérapeutique. Mémoire de Master de psychologie clinique, psychopathologie et psychothérapie, Université de Paris 8, 2006
  • BOWEN M. La différenciation du soi, les triangles et les systèmes émotifs familiaux. ESF, 1984
  • BOWLBY J. Attachement et perte, tomes 1, 2 et 3. Paris, PUF, 1978, 1978, 1983
  • ELKAïM M. A quel psy se vouer ? Psychanalyses, psychothérapies, les principales approches. Le Seuil, Paris, 2003
  • ERSKINE R.G. Les six étapes du traitement. Les classiques de l’Analyse Transactionnelle vol II, p191-193. Bruxelles, CFIP. 1987.
  • FRANCES A. et ROSS R.  DSM IV – Cas cliniques. Paris, Masson, 2000.
  • GINGER S. La Gestalt : l’art du contact, Marabout coll « guide de poche », Bruxelles-Paris, 9e éd 2007.
  • GINGER S. et GINGER A. Guide pratique du psychothérapeute humaniste. Dunod, Paris, 2008.
  • MARC E. Guide pratique des psychothérapies. Retz, Paris, 2000.
  • MINUCHIN S. Familles en thérapie. Editions Universitaires, 1983.
  • PIGNARRE P. Le grand secret de l’industrie pharmaceutique. Editions La Découverte, Paris, 2004.

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