Tentatives d’approches intégratives : Mobiliser des cadres de références différents pour penser l’interaction thérapeutique.

« Le plus important pour un psychothérapeute, c’est de pouvoir penser le patient »

Ce texte est le résumé d’un travail de recherche réalisé au cours de ma formation universitaire. L’idée maîtresse qui a sous-tendu ce travail était d’observer comment l’usage de cadres de référence différents pouvait influencer la compréhension et l’action du thérapeute. Ces observations ont été faites dans le cadre d’un travail thérapeutique en individuel réalisé en mobilisant trois cadres de référence.

Trois cadres de référence « familiaux » 

En plus de l’analyse transactionnelle qui est au centre de ma pratique, j’ai choisi les cadres de référence de la théorie de l’attachement et de l’approche familiale systémique car il furent pour moi une découverte importante dans le cadre de mes études universitaires et je les utilise depuis en complément de l’A.T. 

Ces trois cadres de référence ont en commun de considérer que l’individu s’est construit psychiquement dans un réseau d’interactions au sein de sa famille. Les interactions familiales qui sont le théâtre des processus d’individuation et de différenciation font en effet échos à de nombreux concepts dans chacun des trois cadres de références étudiés. Par exemple, pour les thérapeutes familiaux systémiciens, ces interactions sont à la base des concepts de délégation, de loyauté ou de parentification  et elles contribuent à l’élaboration par le sujet de sa construction du monde et de son programme officiel (Bowen, 1984 ; Elkaïm, 1999; Minuchin, 1983); dans la théorie de l’attachement, ces interactions familiales sont à l’origine de la construction des stratégies secondaires et des modèles internes opérants (Bowlby, 1978-1983); pour les analystes transactionnels, elles sont mises en place à partir des différents systèmes d’états du Moi, sont le support des différents messages scénariques (injonctions et drivers), renforcent le fonctionnement de l’individu dans un état de symbiose, et sous-tendent, via le scénario, les méconnaissances et  les jeux psychologiques.

La compatibilité comme paramètre d’une synergie 

Il serait abusif de penser que les racines communes de différents paradigmes suffiraient à garantir l’évidence de leur synergie. Cela étant, le socle commun des trois modèles utilisés dans ce travail quant à la prise en compte des interactions familiales dans la genèse des structures de personnalité me semble permettre une plus grande fécondité de leur usage conjoint.

De façon plus complexe, il me semble que la synergie née de l’usage conjoint de ces trois cadres de références « familiaux » est due au fait qu’ils ont à la fois des correspondances et des particularités. S’ils n’avaient que des correspondances leur synergie serait réelle mais elle pourrait devenir futile pour un thérapeute qui les maîtriserait tous les trois, un modèle devenant la « photocopie » de l’autre dans un vocabulaire différent. S’ils n’avaient que des particularités, leur usage conjoint consisterait en une juxtaposition de procédures complémentaires (au sens où elles se complèteraient sans s’enrichir mutuellement) et leur synergie serait sans doute très limitée voire inexistante. L’intérêt de ces trois cadres de référence différents en tant qu’outils de pensée d’un même travail thérapeutique réside donc dans l’existence d’une bonne distance entre leurs univers conceptuels, ni trop proches ni trop éloignés.

Des correspondances génératrices de puissance chez le thérapeute 

Le recours à ces trois cadres de référence « familiaux » m’a permis de pouvoir vérifier des hypothèses diagnostiques avec plus de pertinence. En effet, les trois cadres de référence proposent des concepts qui présentent des correspondances. Par exemple, le scénario de vie et la construction du monde (issus respectivement de l’AT et de l’approche systémique) modélisent tous les deux la façon dont les croyances ancrées à un niveau intrapsychique peuvent être limitantes dans l’ici et maintenant au niveau émotionnel puis comportemental ; de la même façon, le  programme officiel , les modèles internes opérants et les messages contraignants  (respectivement issus de l’Approche systémique, de l’Attachement et de l’A.T.) modélisent tous les trois la façon dont la personne interagit au niveau social avec son entourage ; ou encore la symbiose, le triangle dramatique et les jeux psychologiques d’une part comme les stratégies secondaires d’attachement d’autre part (issus respectivement de l’A.T. et de l’Attachement) modélisent l’aspect répétitif des processus interactionnels.

Ainsi, si une observation clinique me conduit à émettre une hypothèse sur la problématique de la personne en mobilisant l’un de ses concepts, je pourrais  également confronter cette même observation à un concept issu d’un autre cadre de référence. Par exemple, les comportements qui signent le message contraignant « Sois fort » et l’injonction « Ne sois pas proche » (A.T.) sont également très cohérents avec un mode d’attachement « Détaché-évitant » (Attachement). Dans le travail thérapeutique qui a fait  l’objet de cette recherche, le message contraignant « Fais plaisir » et les injonctions  « Ne sens pas » ou « Ne sois pas un enfant » de la patiente faisaient exactement échos à sa construction du monde, en l’occurence  : « je dois m’occuper des autres, ne pas demander d’aide, ne dépendre de personne ».

Je pense que lorsqu’un thérapeute est plus assuré de sa compréhension de la problématique du patient, il devient plus puissant dans ses interventions. Et c’est bien une puissance qu’ont permis les correspondances entre les différents cadres de références mobilisés ici.

Des particularités génératrices de synergie  

Les particularités respectives des trois cadres de références ont aussi été productives. En effet, certaines observations réalisées dans le travail thérapeutique n’auraient pas pu être exploitées avec autant de bénéfices pour la compréhension de la problématique de la patiente si un seul de ces trois cadres avait été mobilisé. Par exemple, l’usage des concepts d’injonctions et de permissions propres à l’analyse transactionnelle permet au patient de réaliser un travail d’élaboration sur sa problématique pour activer un processus de redécision, travail concret et spécifique que ni l’approche systémique  ni le modèle de l’attachement ne proposent. De la même façon, le concept de résonance de Mony Elkaïm offre au thérapeute la possibilité d’utiliser un canal de perception particulier qui peut être très productif dans la construction de sa pensée, canal particulier que ni l’analyse transactionnelle ni la théorie de l’attachement n’ont modélisé. Toujours en illustration de ces particularités productives, les concepts propres à l’approche systémique de construction du monde et de programme officiel dans ce qu’ils « lient » les problématiques des protagonistes du couple, permettent avantageusement d’actualiser dans le système couple les difficultés relationnelles de la personne, ce que ne propose pas la théorie de l’attachement et seulement de façon indirecte les concepts de l’analyse transactionnelle.

Par ailleurs, dans l’usage que le thérapeute peut faire de ses cadres de références pour proposer certaines hypothèses au patient, les particularités de ces cadres de références présentent un autre avantage. En effet, des préférences de vocabulaire de la part du patient (quelles qu’en soient les raisons) pourront rendre un modèle plus utilisable qu’un autre. 

Sur le plan des particularités toujours, même si les modèles de la thérapie systémique familiale et de l’attachement disposent eux aussi de procédures opérationnelles, il me semble que l’analyse transactionnelle présente l’avantage de proposer plusieurs outils thérapeutiques concrets (diagnostics comportemental et social grâce aux états du moi, lecture du triangle dramatique, analyse des jeux psychologiques, questionnaire de scénario, interview du Parent, procédures de redécision) qui permettent d’opérationnaliser les conceptions du changement qu’elle propose. Il est cependant possible que cet avantage que je viens de reconnaître à l’analyse transactionnelle soit surestimé par le fait que ce cadre de référence est celui dans lequel je me suis le plus intensément formé et qui constitue le support premier de mon travail de thérapeute.

Une diversité génératrice d’ouverture 

Enfin, sur le plan du positionnement du thérapeute, il me semble que le recours à plusieurs cadres de référence différents de la part d’un même thérapeute lui permet de développer une réelle ouverture. En effet, quand le thérapeute s’oblige à penser une même interaction à l’aide de plusieurs cadres de référence, il est nécessairement conduit à faire le constat des avantages et des limites de chacun de ces cadres dans les hypothèses diagnostiques, les plans de traitement ou les procédures d’intervention. Ce sont ces constats qui lui permettront d’entretenir un positionnement qui n’enferme pas sa pensée dans une seule approche si pertinente soit elle. Cela étant, cet avantage en termes d’ouverture a un prix et il me semble que le principal obstacle au développement des approches intégratives réside dans l’effort de formation et d’échanges qu’elles nécessitent de la part de ceux qui souhaitent les pratiquer.

Conclusion

Il est important de préciser que les trois cadres de références utilisés dans cette approche intégrative sont différents mais compatibles. En effet, comme cela a été dit plus haut la synergie de ces cadres de références a été possible parce que leurs correspondances comme leurs particularités rendaient leur usage conjoint productif. Je ne suis pas certain que, par exemple, l’usage conjoint de la psychanalyse d’une part et des Thérapies Cognitivo – Comportementales (T.C.C.). d’autre part présente le même intérêt, ce mariage – là aboutissant sans doute à une simple addition plutôt qu’à un enrichissement mutuel.

Enfin, sur un plan déontologique, et au risque de paraître irréaliste – idéaliste ? – il me semble que l’une des conséquences possibles d’un développement des approches intégratives serait que les débats – ou les combats – entre cliniciens de « chapelles » différentes pourraient, de dogmatiques qu’ils sont trop souvent, redevenir seulement cliniques.

Pascal Bertho, octobre 2006

BERTHO P. (2006). Tentatives d’approches intégratives : Mobiliser des cadres de référence différents pour penser l’interaction thérapeutique. Mémoire de Master de psychologie clinique, psychopathologie et psychothérapie, Université de Paris 8

BOWEN M. (1984). La différenciation du soi, les triangles et les systèmes émotifs familiaux. ESF

BOWLBY J. (1978-1983). Attachement et perte, tomes 1, 2 et 3. PUF

DELEUZE G. et GUATTARI F. (1980) Mille plateaux, Capitalisme et schizophrénie 2, Les éditions de Minuit.

ELKAIM M. (1999). La thérapie familiale en changement. Synthélabo, Les empêcheurs de penser en  rond.

FRANCES A. et ROSS R. (2000). DSM IV – Cas cliniques. Masson

FREUD S. (1926). Inhibition, Symptôme, Angoisse. PUF

LAPLANCHE J. et PONTALIS J.B. (2004) Vocabulaire de la psychanalyse, PUF

MINUCHIN S. (1983). Familles en thérapie. Editions Universitaires,

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